Lire « La société du spectacle » n'est pas chose aisée.
Non pas que ce livre soit particulièrement difficile en lui-même, mais parce que cette difficulté tient à la nature même de son objet.
En effet, dévoilant la structure centrale de l'aliénation dans laquelle baigne la plus grande part de l'humanité depuis quelques décennies, il se heurte au fait que celle-ci a fini par croire que cela était son milieu naturel et que l'on n'avait d'autre choix que de s'y adapter.
«Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation.»
Saisir cette misère qui est la notre, dès que nous cédons à la pression dominante, c'est aussi comprendre son origine qui se trouve essentiellement dans la prise de pouvoir de la logique marchande sur toute réalité humaine. Il y a déjà 150 ans que Marx distingua dans le processus de fétichisation de la marchandise les prémices de sa prise d'autonomie et la marginalisation d'une histoire et d'une réalité humaine, devenues accessoires.
Le spectacle, pour chaque être humain, est donc avant tout cet effort pitoyable, ce reniement permanent, par lequel il essaye de devenir marchandise pour complaire à un monde qui désormais ne reconnaît plus rien d'autre.
Du point de vue de la domination, le spectacle n'est rien d'autre que l'instrument qui permet de contraindre à cette misère grâce à l'Économie politique devenant "idéologie matérialisée".
La conséquence la plus grave de la domination spectaculaire-marchande pour notre réalité humaine, celle que tout le monde peut constater aujourd’hui (souvent sans en identifier la source) est, sans aucun doute, la séparation.
Réduits par l’économie politique à se comporter eux-mêmes comme des marchandises particulières, les individus en ont adopté, plus ou moins consciemment, la logique centrale : la concurrence généralisée.
« Chaque marchandise déterminée lutte pour elle-même, ne peut reconnaître les autres, prétend s'imposer partout comme si elle était la seule. »
Chaque être humain est ainsi amené à ne voir dans les autres qu’obstacles à sa prépondérance et donc, d’une certaine manière, des ennemis.
Alors même que chacun cherche désespérément la reconnaissance de sa particularité, la logique marchande l’oblige pour sa part à ne pouvoir reconnaitre personne.
La réussite individuelle, si chère à cette forme de société, occulte aussi le fait que ce n’est qu’en tant que marchandise qu’elle trouve à se réaliser.
La boucle est bouclée, toute possibilité d’un monde Commun est anéantie. Le spectacle est cette misère qui nous ronge tous, sans exception, dans une séparation qui semble sans issue.
Non pas que ce livre soit particulièrement difficile en lui-même, mais parce que cette difficulté tient à la nature même de son objet.
En effet, dévoilant la structure centrale de l'aliénation dans laquelle baigne la plus grande part de l'humanité depuis quelques décennies, il se heurte au fait que celle-ci a fini par croire que cela était son milieu naturel et que l'on n'avait d'autre choix que de s'y adapter.
«Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation.»
Saisir cette misère qui est la notre, dès que nous cédons à la pression dominante, c'est aussi comprendre son origine qui se trouve essentiellement dans la prise de pouvoir de la logique marchande sur toute réalité humaine. Il y a déjà 150 ans que Marx distingua dans le processus de fétichisation de la marchandise les prémices de sa prise d'autonomie et la marginalisation d'une histoire et d'une réalité humaine, devenues accessoires.
Le spectacle, pour chaque être humain, est donc avant tout cet effort pitoyable, ce reniement permanent, par lequel il essaye de devenir marchandise pour complaire à un monde qui désormais ne reconnaît plus rien d'autre.
Du point de vue de la domination, le spectacle n'est rien d'autre que l'instrument qui permet de contraindre à cette misère grâce à l'Économie politique devenant "idéologie matérialisée".
La conséquence la plus grave de la domination spectaculaire-marchande pour notre réalité humaine, celle que tout le monde peut constater aujourd’hui (souvent sans en identifier la source) est, sans aucun doute, la séparation.
Réduits par l’économie politique à se comporter eux-mêmes comme des marchandises particulières, les individus en ont adopté, plus ou moins consciemment, la logique centrale : la concurrence généralisée.
« Chaque marchandise déterminée lutte pour elle-même, ne peut reconnaître les autres, prétend s'imposer partout comme si elle était la seule. »
Chaque être humain est ainsi amené à ne voir dans les autres qu’obstacles à sa prépondérance et donc, d’une certaine manière, des ennemis.
Alors même que chacun cherche désespérément la reconnaissance de sa particularité, la logique marchande l’oblige pour sa part à ne pouvoir reconnaitre personne.
La réussite individuelle, si chère à cette forme de société, occulte aussi le fait que ce n’est qu’en tant que marchandise qu’elle trouve à se réaliser.
La boucle est bouclée, toute possibilité d’un monde Commun est anéantie. Le spectacle est cette misère qui nous ronge tous, sans exception, dans une séparation qui semble sans issue.
C'est donc en fonction de ce que chacun a pu et su construire comme autonomie de pensée, en contradiction à ce carcan idéologique, qu'il jugera de l'importance de l'effort nécessaire pour lire et comprendre ce livre; ou trouvera plus simple de le juger comme nul et non avenu.
Aussi, il n'est guère surprenant qu'au stade actuel de l'aliénation sociale décrite en cet ouvrage majeur et 50 ans après sa parution, beaucoup ne puissent littéralement plus comprendre de quoi il parle puisque, comme le notait déjà La Boétie : « Toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue. La première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. »
En 1969, Debord fit parvenir à la section italienne de l'Internationale Situationniste, à l'occasion de la parution de l'édition italienne de ce livre, des éléments pour une « brève note introductive au Spectacle » qu'il ne semble donc pas superflu de reproduire ici :
Aussi, il n'est guère surprenant qu'au stade actuel de l'aliénation sociale décrite en cet ouvrage majeur et 50 ans après sa parution, beaucoup ne puissent littéralement plus comprendre de quoi il parle puisque, comme le notait déjà La Boétie : « Toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue. La première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. »
En 1969, Debord fit parvenir à la section italienne de l'Internationale Situationniste, à l'occasion de la parution de l'édition italienne de ce livre, des éléments pour une « brève note introductive au Spectacle » qu'il ne semble donc pas superflu de reproduire ici :
« Le premier chapitre expose le concept de spectacle.
Le deuxième définit le spectacle comme un moment dans le développement du monde de la marchandise.
Le troisième décrit les apparences et contradictions sociopolitiques de la société spectaculaire.
Le quatrième, qui tient la place principale dans le livre, reprend le mouvement historique précédent (toujours en allant plus de l'abstrait vers le concret), comme histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire. C'est un résumé sur l'échec de la révolution prolétarienne, et sur son retour. Il débouche sur la question de l'organisation révolutionnaire.
Le cinquième chapitre, " Temps et histoire", traite du temps historique (et du temps de la conscience historique) comme milieu et comme but de la révolution prolétarienne.
Le sixième décrit "le temps spectaculaire" de la société actuelle en tant que "fausse conscience du temps", une production d' "un présent étranger" perpétuellement recomposé, comme aliénation spatiale dans une société historique qui refuse l'histoire.
Le septième chapitre critique l'organisation précise de l'espace social, l'urbanisme et l'aménagement du territoire.
Le huitième rattache à la perspective révolutionnaire historique la dissolution de la culture comme monde séparé, et lie à la critique du langage une explication du langage même de ce livre.
Le neuvième, "L'idéologie matérialisée", considère toute la société spectaculaire comme une formation psychopathologique, le summum de la perte de réalité, laquelle ne peut être reconquise que par la praxis révolutionnaire, la pratique de la vérité dans une société sans classes organisée en Conseils, "où le dialogue s'est armé pour faire vaincre ses propres conditions". »
Le deuxième définit le spectacle comme un moment dans le développement du monde de la marchandise.
Le troisième décrit les apparences et contradictions sociopolitiques de la société spectaculaire.
Le quatrième, qui tient la place principale dans le livre, reprend le mouvement historique précédent (toujours en allant plus de l'abstrait vers le concret), comme histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire. C'est un résumé sur l'échec de la révolution prolétarienne, et sur son retour. Il débouche sur la question de l'organisation révolutionnaire.
Le cinquième chapitre, " Temps et histoire", traite du temps historique (et du temps de la conscience historique) comme milieu et comme but de la révolution prolétarienne.
Le sixième décrit "le temps spectaculaire" de la société actuelle en tant que "fausse conscience du temps", une production d' "un présent étranger" perpétuellement recomposé, comme aliénation spatiale dans une société historique qui refuse l'histoire.
Le septième chapitre critique l'organisation précise de l'espace social, l'urbanisme et l'aménagement du territoire.
Le huitième rattache à la perspective révolutionnaire historique la dissolution de la culture comme monde séparé, et lie à la critique du langage une explication du langage même de ce livre.
Le neuvième, "L'idéologie matérialisée", considère toute la société spectaculaire comme une formation psychopathologique, le summum de la perte de réalité, laquelle ne peut être reconquise que par la praxis révolutionnaire, la pratique de la vérité dans une société sans classes organisée en Conseils, "où le dialogue s'est armé pour faire vaincre ses propres conditions". »
L'auteur (en 1967) cite Lukàcs : « plus la rationalisation et la mécanisation du travail augmentent, plus l'activité du travailleur perd son caractère d'activité pour devenir un attitude contemplative » (in Histoire et conscience de classe, 1923).
J'ai travaillé comme matelot avec des mariniers, comme ouvrier agricole, comme programmeur informatique, comme formateur, je ne me suis pas senti contemplatif.
Certes, il y a beaucoup de spectacle dans notre société, dans toutes les sociétés du monde, même dans celles qui se sont réclamées de Lukàcs. Oui, nos débats télévisés sont conçus comme des spectacles…
J'ai travaillé comme matelot avec des mariniers, comme ouvrier agricole, comme programmeur informatique, comme formateur, je ne me suis pas senti contemplatif.
Certes, il y a beaucoup de spectacle dans notre société, dans toutes les sociétés du monde, même dans celles qui se sont réclamées de Lukàcs. Oui, nos débats télévisés sont conçus comme des spectacles…
J'avais essayé de lire ce livre en 1976, et l'avais perçu comme une mise en abîme à partir d'un thème : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation ».
J'ai réessayé quarante-cinq ans plus tard…
Il n'y a pas dans ce livre de démonstration, pas même de progression : l'idée est formulée dès le départ et déclinée page après page, paragraphe après paragraphe. (les mathématiciens ont un nom, qui m'échappe, pour de tels raisonnements qui se mordent la queue. Par exemple, à partir du postulat que a+b=c je peux vous faire dix pages de calculs impliquant des séries de Fourier, des intégrales triples et la théorie des ensembles et vous démontrer que b=c-a).
J'ai en face de moi une tasse de café.
Le café a été cultivé par des paysans sud-américains. Je ne pense pas qu'on puisse percevoir leur activité comme un spectacle.
La tasse vient probablement de Chine, où des paysans déracinés surveillent des robots face à des affiches dénonçant le capitalisme… et vantant Lukàcs et consorts.
Le café a été cultivé par des paysans sud-américains. Je ne pense pas qu'on puisse percevoir leur activité comme un spectacle.
La tasse vient probablement de Chine, où des paysans déracinés surveillent des robots face à des affiches dénonçant le capitalisme… et vantant Lukàcs et consorts.
Il y a toujours eu « panem et circenses ».
Debord a dû réduire notre vie toute entière au seul circenses pour la faire tenir dans son axiome.
Debord a dû réduire notre vie toute entière au seul circenses pour la faire tenir dans son axiome.
A mon premier essai, j'avais déjà visité Dachau, pas encore Bergen-Belsen. Je vais paraphraser André Glucksmann : quand on a vu Bergen-Belsen, peut-on encore lire Debord ?
Mais rien n'est perdu, je réessaierai tous les cinquante ans.
Lien : https://www.edilivre.com/app..
Lien : https://www.edilivre.com/app..
Avouons ne pas y avoir compris grand chose. Qu'est-ce que le spectacle dont parle Guy Debord? Cela semble être une mise en scène et une représentation du monde qui ne permet plus de voir et de vivre la réalité. Nous sommes entourés par un discours sans fondement autre que lui-même qui occupe toute la place. Il s'agit de trouver le moyen d'y résister. Ne pas comprendre grand chose aux propos de Debord est peut-être la preuve que le spectacle a gagné la partie et que sa critique radicale, en refusant toute pédagogie, reste un cri trop compliqué pour les paresseux spectateurs que les hommes sont devenus.
Cet essai écrit en 1967 a eu une influence considérable sur les événements de Mai 68. Court mais particulièrement abscons, il a l'avantage de faire prendre conscience de ses limites intellectuelles (en tout cas pour ma part, je n'ai pas tout compris, je me suis efforcée d'aller jusqu'au bout mais j'avoue...j'ai sauté des passages). Je pense que cela est voulu car Debord ne voulait faire disait-il "aucune concession au public". C'est pour cela que je ne mets que deux étoiles car faire des efforts d'expression claire, être pédagogue n'est pas pour moi une "concession", c'est la moindre des chose surtout dans un essai.
Il s'agit d'une critique de la société de consommation, de la domination de la société mercantile dans laquelle l'individu est devenu avant tout un consommateur, aliéné par les médias modernes (en 1967, on croit rêver!). Le spectacle, c'est le fonctionnement global de la société capitaliste et pas seulement la télé, les médias même si ceux-ci contribuent à imposer des normes, des modèles, un miroir déformant et à couper l'individu de la réalité. Le spectacle c'est donc plus les représentations factices que le divertissement pour Debord. Spectacle car tout est faux et coupé de la réalité dans la société contemporaine
Il s'agit d'une critique de la société de consommation, de la domination de la société mercantile dans laquelle l'individu est devenu avant tout un consommateur, aliéné par les médias modernes (en 1967, on croit rêver!). Le spectacle, c'est le fonctionnement global de la société capitaliste et pas seulement la télé, les médias même si ceux-ci contribuent à imposer des normes, des modèles, un miroir déformant et à couper l'individu de la réalité. Le spectacle c'est donc plus les représentations factices que le divertissement pour Debord. Spectacle car tout est faux et coupé de la réalité dans la société contemporaine